Problème Central : La Forêt Non Protégée
Le cœur du conflit actuel dans le Refuge National de Faune Sylvestre de Gandoca-Manzanillo est l’identification de 107,9 hectares de forêt primaire et secondaire qui ont été laissés dans un état de vulnérabilité juridique.
La cause directe de ce manque de protection est l’approbation de la Loi n° 9223 en 2014, qui, en tentant de résoudre un problème foncier de longue date, a généré un effet secondaire incontrôlé. La conséquence principale est la création d’un vide juridique qui affaiblit la capacité de l’État à prévenir la déforestation et à réglementer le développement sur ces terres, qui sont maintenant en cours de titrisation en tant que propriété privée.
Contexte Historique (La Situation avant 2014)
Pour comprendre la législation actuelle, il est essentiel d’analyser l’origine du conflit. Le Refuge National de Faune Sylvestre de Gandoca-Manzanillo a été créé par l’État en 1985, protégeant l’une des zones les plus riches en biodiversité du pays. Cependant, cette zone protégée a été délimitée sur des territoires déjà occupés par des habitants locaux, certaines familles y vivant depuis des générations.
Cette superposition d’une zone protégée sur des terres habitées a généré une situation de profonde insécurité juridique et de tension sociale pendant près de trois décennies. Malgré leur enracinement, les habitants ne disposaient pas de titres de propriété, ce qui les empêchait légalement de vendre, de léguer ou d’utiliser leurs terres comme garantie pour des prêts. Ils vivaient sous la menace constante d’expulsion et faisaient face à d’énormes obstacles pour obtenir des permis de construire ou des services de base, limitant ainsi leur développement. Cette incertitude prolongée a alimenté un fort mouvement communautaire qui a fait pression politiquement pour obtenir une solution définitive reconnaissant leurs droits de possession.
Loi n° 9223 de 2014 : La Solution Controversée
En réponse directe à la pression sociale et à l’insécurité juridique prolongée des habitants, l’Assemblée Législative a adopté en 2014 la Loi n° 9223, la « Loi de Reconnaissance des Droits des Habitants des Caraïbes Sud ». L’objectif déclaré de la loi était noble : régulariser la situation des occupants légitimes et leur accorder enfin les droits de propriété qu’ils réclamaient depuis des décennies. Pour y parvenir, le mécanisme juridique a consisté à « désaffecter » du patrimoine naturel de l’État les parcelles occupées avant la loi forestière de 1996, permettant ainsi leur titularisation à des particuliers. En pratique, cela signifiait créer des enclaves de propriété privée au sein d’une zone de faune protégée.
Cependant, dès sa discussion, la loi a été intensément controversée. Les organisations environnementales, les biologistes et même le Bureau du Procureur Général ont mis en garde contre les risques inhérents, arguant qu’elle fragmenterait inévitablement l’écosystème et ouvrirait une porte dangereuse à la spéculation immobilière et au développement incontrôlé en affaiblissant la tutelle du MINAE sur ces terres critiques.


4. Impact et Conséquences (Après 2014)
Une décennie après l’entrée en vigueur de la loi, ses conséquences sont tangibles et ont été quantifiées. Un récent rapport technique du Système National des Aires de Conservation (SINAC), publié en 2025, est au cœur de la situation actuelle, car il identifie avec précision les 107,9 hectares de forêt primaire et secondaire situés dans les parcelles désormais privatisées. Cette découverte confirme les craintes exprimées en 2014.
L’impact le plus grave est le vide juridique qui a été créé : ces terres devenant des propriétés privées, le MINAE a perdu ses outils juridiques les plus puissants pour sanctionner ou empêcher l’abattage, car elles ne sont plus soumises au régime strict d’une aire protégée par l’État. L’impact écologique a été documenté par des organisations de conservation, qui signalent une augmentation notoire de la déforestation pour faire place à des constructions et une montée de la spéculation immobilière. Cette situation menace directement l’intégrité des écosystèmes du refuge, mettant en danger des corridors biologiques vitaux, l’habitat d’espèces menacées comme le grand ara vert (Ara de Buffon),

Acteurs Clés et Leurs Positions Actuelles (Octobre 2025)
Le conflit de Gandoca-Manzanillo implique plusieurs acteurs aux intérêts et perspectives souvent opposés. À ce jour, leurs positions sont les suivantes :
- MINAE / SINAC (Pouvoir Exécutif) : Fort de la preuve technique du rapport identifiant les 107,9 hectares, cet acteur reconnaît officiellement les dommages environnementaux. Cependant, sa capacité d’action directe est sévèrement limitée par la Loi 9223. Sa position est de chercher des solutions par des voies alternatives telles que la négociation ou la recommandation d’actions en justice, bien qu’il ne puisse pas annuler la loi de lui-même.
- Habitants et Propriétaires Fonciers : Ce n’est pas un groupe homogène. D’une part, il y a des habitants et des entrepreneurs locaux qui prônent un développement durable et la conservation, considérant la valeur du refuge comme leur principal atout. D’autre part, il y a des propriétaires qui, protégés par leurs nouveaux droits, ont vendu leurs terres à des promoteurs immobiliers ou ont lancé des constructions à des fins commerciales, maximisant ainsi la valeur économique de leurs parcelles.
- Organisations de Conservation : Menées par des groupes comme la Fédération Écologiste du Costa Rica (FECON), elles maintiennent une position de ferme opposition à la loi, la qualifiant d’« écocide ». Leur principal front de bataille est juridique, ayant déposé et poursuivant activement des recours en inconstitutionnalité pour que la loi soit abrogée dans son intégralité.
- Cour Constitutionnelle (Sala IV – Pouvoir Judiciaire) : C’est l’acteur décisif en ce moment. La haute cour est chargée de statuer sur les recours en inconstitutionnalité qui ont été déposés. Sa décision déterminera si la Loi 9223 est maintenue, modifiée ou annulée, ce qui en fait l’arbitre final de l’avenir juridique du refuge et des 107,9 hectares de forêt contestés.
Scénarios et Avenir Immédiat (Octobre 2025)
À ce jour, l’avenir de la forêt au sein de Gandoca-Manzanillo dépend de la convergence de plusieurs voies d’action complexes et sans garantie de succès. Le scénario est incertain et quatre chemins possibles se dessinent pour aborder le problème :
- La Voie Légale : C’est la plus déterminante. Toutes les parties attendent la décision de la Cour Constitutionnelle concernant les recours déposés contre la Loi 9223. une décision déclarant la loi inconstitutionnelle pourrait annuler les processus de titularisation et redonner le contrôle total au MINAE, bien que cela raviverait le conflit social sur la question foncière.
- La Voie Négociée : Le MINAE pourrait tenter une stratégie d’atténuation en négociant directement avec les propriétaires des 107,9 hectares pour qu’ils inscrivent leurs terres au programme de Paiement pour Services Environnementaux (PSE). Cela leur offrirait une incitation économique pour conserver la forêt, mais son succès dépend de la volonté des propriétaires et de la disponibilité des fonds.
- La Voie Économique : Elle envisage l’expropriation des terres par l’État pour les réintégrer au patrimoine naturel. Cependant, c’est l’option la plus coûteuse et la plus complexe sur le plan logistique, car elle nécessiterait un investissement de plusieurs millions de dollars pour payer la juste valeur marchande de terres qui ont énormément pris de la valeur.
- La Voie Politique : Elle implique de promouvoir une réforme législative de la Loi 9223 pour y ajouter des clauses et des contrôles environnementaux plus stricts qui obligeraient les propriétaires à conserver le couvert forestier. Cette voie est politiquement difficile et nécessiterait un large consensus à l’Assemblée Législative.
Un Conflit Non Résolu
Le cas du Refuge de Faune Sylvestre de Gandoca-Manzanillo est la chronique d’un conflit complexe et non résolu, où trois visions légitimes mais souvent incompatibles s’affrontent : la nécessité de rendre la justice sociale pour les droits historiques de ses habitants, l’impératif de conserver un écosystème d’une valeur incalculable pour le pays et le monde, et les pressions du développement économique et touristique.
La Loi 9223, créée pour résoudre le premier problème, a fini par aggraver les deux autres. Les 107,9 hectares de forêt identifiés par le MINAE ne sont pas qu’un chiffre ; ils sont le symbole tangible de ce déséquilibre et représentent le champ de bataille où se décidera l’avenir du refuge. Trouver une solution intégrale et durable est l’un des défis les plus urgents pour la politique environnementale et sociale du Costa Rica, car la survie de l’un de ses trésors naturels les plus précieux en dépend.